Tangente: Eve (La danse est un espace sans lieu) et Le Troisième été d'amour


Par Luc Archambault

       La semaine dernière, à Tangente, un spectacle bien baroque, composé de deux parties en apparence fort distinctes l'une de l'autre, mais à bien y repenser, un filon d'inspiration commun aux deux compagnies. La première à occuper la piste fut la compagnie Voix & Omnipresenz, avec sa chorégraphie intitulée Eve (dance is a unplaceable place). Sous la co-direction de Margherita Bergamo (aussi chorégraphe et productrice) et de Daniel González (aussi concepteur d'interaction et développeur de réalité virtuelle), trois interprètes (Jenna Beaudoin, Élise Boileau et Raphaëlle Renucci) s'avancent dans l'assistance, parsemée ça et là sur le plancher de la salle. Elles choisissent trois spectateurs et leur enfilent un casque de réalité virtuelle. Elles serviront de guide et de partenaire de danse à ces trois cosmonautes. Trois maigres écrans surplombent le plancher de danse, sur lesquels sont projetées les topographies dans lequels les "élus" se déplacent virtuellement.
© Kirstin Huber et João Queirolo

        Le malaise qui découle de cette "interaction" m'a presque amené à ne pas écrire de critique sur ce spectacle tant ma première impression était négative. En effet, pareille interaction peut sembler immensément inventive, du moins en théorie; mais que fait-on des quelques cent cinquante autres badauds qui, eux, ne portent pas de casque de réalité virtuelle? S'en remettre aux minuscules écrans, où l'on ne distingue à peu près rien? Et bien que les guides soient agités d'une volonté de communication gestuelle profonde, le concept derrière ce spectacle me semble tiré d'un cauchemar accouché par une bande de milléniaux en mal d'inspiration. Car, en dépit de la théorie derrière ce ratage en règle, jamais n'ai-je senti, encore moins ressenti, quoi que ce soit la minute où les trois spectateurs entrèrent en scène.

© Kirstin Huber et João Queirolo

        Le début de la chorégraphie, par contre, m'a beaucoup intéressé. On aurait dit un rassemblement politique, un exercice de propagande digne d'un rally nazi à Nürnberg dans les années trente. Mais cette image ne fut pas exploitée, laissant vite la place à la bébelle technologique si peu participative. Dommage. J'ose espérer que cet apport virtuel ne fasse pas mode dans le monde de la danse contemporaine. À moins bien sûr de le démocratiser... mais j'en demeure extrêmement suspicieux.


©Didier Marquis

       Puis, vint le clou de la soirée. Au centre du plancher, un cube translucide. Le troisième été d'amour, interprété par Marijoe Foucher, une sorte d'infomercial mêlé à un récit familial traçant la généalogie du personnage joué avec brio par madame Foucher... Comme dans la chorégraphie précédente, on y sent une forte poussée de propagande... car ici on tente de nous vendre le concept d'un troisième été d"amour (après l'été hippie de San Francisco et l'été techno de Manchester), avec toutes les marchandises et dérivés commerciaux dignes d'une jeunesse en mal d'infini mais toujours aux aguets d'une chance pour consommer, la nouvelle drogue se calculant en épaisseur de porte-monnaie plutôt qu'en MDMA ou qu'en LSD...  


©Philippe Latour

       Pour bien meubler ce vide existentiel, quoi de mieux qu'un cube remplissant l'espace comme un aquarium ou même encore comme une cage, qui servira à la fois de toile 3D de projection (soulignons ici le magnifique travail de Renaud Pettigrew et de Julie Basse à la conception lumière, d'Hugues Clément à la conception vidéo, de Michael Elliot Verville à la scénographie et de Benjamin Prescott La Rue à la direction artistique) que de construction évoquant un temple antique... car la chorégraphie d'Emmalie Ruest transforme vite la prestation de Marijoe Foucher en une fascinante incarnation quasi mythique. Un travail de trois ans derrière cette chorégraphie, et ce travail transpire dans toutes ces incarnations.

©Philippe Latour

       Car Marijoe Foucher joue son rôle à merveille. Elle nous vend son "histoire", vraie ou fausse, avec un ton assuré et une gestuelle assez désinvolte, illustrant l'évolution des moeurs et des modes des cinq dernières décennies. Le seul hic, au détriment de mes préférences personnelles, est la participation exigée de l'auditoire (nous fumes invités à danser, à tourner autour du cube, à participer en meute à cette expérience englobante). Probablement mon passé punk-destroy qui remonta à la surface pour contrer ces influences hippies... 

©Philippe Latour

L'aspect biographique n'est-il qu'une astuce de vendeuse, ou se fonde-t-il dans l'autobiographie? Est-ce vraiment important? Mais ce côté vente sous pression n'est pas sans rappeler la propagande tous azimuts d'une campagne électorale, voire d'un appareil gouvernemental à la Trump, voire à la Goebbels... si les nouvelles générations s'y mouillent, sans la conscience historique qui découle d'une connaissance approfondie de l'Histoire, résultat d'une éducation tronquée qui se gargarise aux tweets et aux pourriels, peut-être devrions-nous porter une attention plus poussée sur les mouvements idéologiques qui transparaissent sur les planches avant-gardistes de Tangente... d'autant plus avec cette chorégraphie, qui tranche avec son cube, qui préfigure presque l'incarcération des exclus d'un monde où règne un Capitalisme sauvage, qui se présente en unique issue/clé qui permette d'y échapper... Chapeau à l'équipe de la compagnie Dans son salon pour ce frisson dans le dos, bien qu'il découle de mon Londres des années 70-80... Punk hasn't died yet!




Commentaires

  1. C'est tristement que j'ai lu la critique que vous avez faite de notre projet expérimental. Je comprends que la mise en scène vous a déplu, nous savons que il y a encore du travail à faire du point de vue dramaturgique et pour la visibilité du public. Cela ne vous autorise pas à définir notre language nazi: c'est un mot très violent de votre part, ni nous ni notre projet n’avons rien à voir avec cette idéologie politique, et une action diffamatoire comme la vôtre est tout à fait déplorable.

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