Tangente: "We can disappear you" et "Capture Practice"


par Luc Archambault


       Cette semaine, comme à son habitude, Tangente Danse nous offrait un programme double (en dépit du peu d'information donné à l'animation, en raison de l'absence de la divine Dena Davida(?)), composé de la pièce "We can disappear you" et de l'installation vidéo "Capture Practice". Deux pièces fortes, hautement politiques, en ces temps où justement les artistes sont appelés à témoigner de leur engagement propre face à la montée de la droite, toute en potentiel fasciste.

© Kinga Michalska

       Et quelle entrée en matière que ce "We can disappear you", une chorégraphie et scénographie de Thierry Huard, co-scénographie et conception lumière de Paul Chambers, et une musique de Lucas Paris. Tout d'abord, cette pièce a évoqué pour moi tout le milieu des snuff movies de la Californie des années 80-90, milieu que j'ai eu le malheur de connaître. Tout, tant l'ambiance, l'aspect sado-masochiste, l'aspect jeux de pouvoir et les costumes/masques portés par les interprètes... ne manquait que des démembrements et des giclements de sang pour un retour à l'horreur total. Basé visuellement sur l'oeuvre de l'artiste américain Leon Golub, cette pièce tente de traiter des rapports et des dynamiques de pouvoir entre les individus et les groupes sociaux. Quelle démonstration!

© Kinga Michalska

       Lorsque les interprètes viennent chercher des spectateurs, assis sur le pourtour l'espace scénique central, pour les relocaliser ailleurs dans ce même pourtour, avec malaise en prime pour les adeptes de l'ordre et de l'espace personnel... chapeau. Seule déception: l'environnement musical aurait pu être poussé plus loin, afin de maximiser le désordre mental de l'assistance... soit du gros techno au beat maléfique, soit du hard-core métal strident qui fait grincher des yeux tant il assourdit les oreilles... mais ce n'est qu'un détail, car ici l'environnement visuel vient occuper toutes les interstices de la pensée formatée avec son brouillard et ses zones d'ombres multiples... Comme je l'ai dit plus haut, on se croirait sur la scène d'une snuff movie où les protagonistes entrent et sortent de la lumière pour mieux revenir hanter les victimes... un point, pourquoi ne pas inclure une trame sonore de cris (humains, ou encore de porcs/vaches à l'abattoir)? Afin de maximiser le malaise...!!!???

 © Kinga Michalska

       Puis la finale avec cette figure d'un dirigeant/dictateur, qui est hissé au dessus de la foule par des chaînes... ici, j'aurais espéré un sacrifice (humain?) quelconque, du sang, de l'anthropophagie, une communion où l'assistance aurait été mise à contribution... mais malheureusement, les générations plus jeunes ont passé go suite au désengagement religieux post-moderne... mais tout de même, quelle imagerie forte... j'en frissonne encore! Cette pièce/chorégraphie est l'une des plus réussies de la saison, déjà haute en couleur, de Tangente...!!!

© Institut des Croisements

       Quant à l'installation vidéo, qui aurait dû servir de deuxième partie de ce spectacle, je ne sais trop quelle confusion a frappé Tangente, mais elle n'a certainement pas été annoncée comme tel après ce "We can disappear you" si baroque. Et bien malheureusement, ce soir de discussion a commencé bien avant le temps d'une boucle de cette installation (soit 18 minutes). Je le sais car je montais immédiatement après la première partie, et suis resté un bon vingt minutes seul dans la salle où était diffusée cette installation, qui en valait certes le déplacement. 

© Institut des Croisements

       Sur un écran double, on y voit à gauche des images filmées par le B'Tselem, soit le Centre d'information israélien pour les droits de la personne dans les territoires occupés, des images captées par des Palestiniens. Synchronisées à ces images, celles d'Arkadi Zaides, chorégraphe israélien d'origine biélorusse, qui imite les gestuelles des protagonistes filmés. Oeuvre encore une fois hautement politique, qui ne se laisse pas apprivoiser ni restreindre par la propagande, de quelque côté  que celle-ci découle (Israël ou l'Intifada palestinienne). Une oeuvre brute, brutal même, sans l'once d'un compromis. Comme on les aime, donc.

© Institut des Croisements

       Le seul hic à mes yeux dans ce processus est l'inclusion d'images de soldats israéliens. Cette oeuvre avait-elle à inclure tant les oppresseurs que les opprimés? Pourquoi ne pas utiliser trois écrans,  celui de gauche (ou de droite!) réservé aux soldats, celui du centre au danseur, et l'autre aux palestiniens? Mais alors, on ne pourrait certes pas se contenter d'une maigre boucle de 18 minutes... À voir et revoir... surveillez ce nom, Arkadi Zaides... tout comme celui de Thierry Huard, par la même entremise!

       Donc, une autre magnifique semaine sur les planches de Tangente. Évitant tous les écueils d'une censure politique, thématique, anti-violence, cette année représente pour moi l'aboutissement et la maturation d'une diffusion tous azimuts ne cherchant pas les pistes faciles. Quel brio de programmation et d'exécution...!!!! On rêve (et l'on espère) que la recherche formelle et atypique ne cessera pas de puiser tant dans la noirceur que dans la lumière de l'âme humaine.

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